Geek'Shopping

Publié le 8 Août 2009

En achat, les mecs ont la réputation d’être chiants. Je ne le savais pas, mais un jour alors que je me ramenais un peu en retard à une soirée-crêpes, une amie m’a fait la réflexion :

« Je suis sûre que tu as dû comparer les marques, les prix, et tout ce qui est possible pour acheter le cidre, c’est bien un truc de mec ça »
 
Si je réfute avec énergie cette remarque (il ne me semble pas que les hommes soient plus lents à acheter que les femmes, du moins en moyenne... et puis non quoi, ce cidre je l'avais vite acheté !), il faut lui reconnaître ce point à mon propos, et j’ai envie de l’étendre à une catégorie entière de mecs : les geeks.

Les geeks sont une population non définies. Ou plutôt, trop définie. A l’origine il s’agissait de passionnés d’informatiques et de jeux vidéo en général, ce terme étant plutôt péjoratif. Peu à peu il se démocratise et devient généraliste : on est geek d’informatique, mais on peut être geek de cinéma (parce que le terme de « cinéphile » était trop long à écrire ?), de bandes dessinées, de chats, d’oiseaux, de produits vaisseles... Ce mot semble être devenu le synonyme de passionné. Au-delà de ça, certains utilisent même ce mot pour désigner quelqu’un de très doué dans son domaine, en particulier les domaines scientifiques. Seul l’otaku, terme désigné pour les passionnés de manga et autres animés japonais, résiste à la tendance. Et plus le terme geek se démocratise, moins il devient péjoratif, remplacé par « nerd ». Qui n’a pas entendu quelqu’un dans son entourage rire grassement en affirmant qu’il était geek car il venait de regarder une saison d’une série américaine après minuit dans son lit ? Aujourd’hui cette expression ne veut plus dire grand-chose, à tel point que la dernière fois que j’ai dis à une personne ne me connaissant pas que j’étais un geek, elle m’a demandé de préciser. Quand à « nerd » il n’a pas vraiment percé dans le langage populaire. Pour moi, le terme de geek reste intimement lié à l’informatique et aux jeux-vidéos. Mais je suis un vieux con avant l’heure.

Après cette petite introduction, vous devez certainement vous demander : quid du rapport entre le geek et le type super énervant qui regarde trois produits à la Fnac pendant une heure pour finir par quitter le magasin sans rien acheter mais les sourcils froncés par une intense réflexion ? Pour cela il faut se replacer dans la peau de notre candidat. Plus précisément durant son enfance. Son hobby ? Les consoles de jeu. Donc notre ami réclame auprès de ses parents une console, des manettes, et des jeux. Un loisir comme un autre. Sauf que.

Sauf qu’à l’époque, une seule cartouche de jeux vidéo coûtait 500FF. Pour les plus jeunes, ca fait 76€. Pour un seul jeu. Maintenant, imaginez-vous que les parents devaient aussi débourser pour la console et les manettes. Oui, c’était violent. Maintenant, jetons un œil aux jeux en questions. Si vous avez regardé les vidéos de l’Angry Video Game Nerd dont j’ai parlé précédemment, vous le savez à présent : il y avait des perles, mais également des jeux ne méritant même pas ce nom. Des arnaques qu’on oserait à peine commettre aujourd’hui. Des véritables scandales électroniques. En un mot comme en cent : du vol. Autre particularité de ce marché : la dualité et les exclusivités. Les années 80 et début 90 sont marqués par les consoles de Sega et Nintendo. Elles se jouent de façon un peu différente, cherchent à attirer des public différents, et, surtout, ont des jeux différents. Si en 2009 vous voyez un jeu sortir sur Playstation 3, Xbox 360, PC et même avoir une adaptation Wii et DS, c’était impossible à imaginer alors. A tel point que les acheteurs de la marque du plombier ignoraient les suiveurs du hérisson bleu et vice-versa. Du coup, il nous fallait faire de nombreux choix : celui de la console, puis celui des jeux, et le tout compliqué pour une préférence naturelle pour l’un ou l’autre constructeur. Rien de différent face aux enfants ayant d’autres loisirs, sauf le prix. Là où une poupée Barbie coûte une vingtaine d’euros (sans Ken), le moindre jeu coûtait à nos parents 76€. Bien sûr il existait des boutiques d’occasion ou d’échange, mais ils étaient plutôt rares. A Chamonix, où j’habitais, ils sont apparus il est apparu très tardivement. Bref, ce n’était pas la pratique courante que d’attendre l’occasion ou d’échanger.

A mon avis, la méfiance des geeks vis-à-vis d’un achat vient de là. Les jeux-vidéo étant un marché naissant, ils étaient inexistants de la télévision (en dehors des seules publicités célèbres de Sega,) et de la presse. Et ne me parlez pas d’Internet : trop petits pour savoir que ça existait. Aucune aide. Pour être certains de ne pas se faire avoir par un mauvais jeu vidéo qu’on aurait payé le prix fort (et ça nous est tous arrivé), nous devions essayer le jeu désiré chez un ami qui le possédait déjà, sinon nous étions obligé de jauger la jaquette du jeu en magasin, observer avec l’œil de taupe les captures d’écran. On avait déjà appris à oublier inconsciemment les résumés publicitaires, souvent hors de propos ou carrément mensongers. Ce jugement pouvait prendre très longtemps. En ce qui me concerne, c’est bien simple, ma mère me déposait dans le rayon « jeux » d’une grande surface, faisait ses courses, et revenait me chercher pour passer en caisse. Ma perception du temps est biaisée puisque j’étais petit, mais il se passait probablement entre trois quart d’heures et une heure de courses. Et il arrivait souvent qu’à ce délai, je n’avais toujours pas décidé ! Pas facile de choisir sur la base de deux petits screenshots de la taille d'un tilmbre poste ! "Alors oui, le jeu a l'air joli, mais je ne sais pas, ça semble pas facile de tuer les ennemis, et puis je vois mal à quoi le jeu peut ressembler en vrai... Mais en même temps, ça a l'air accrocheur... Mais quand même, c'est bizarre que je ne parvienne pas à savoir ce qu'est vraiment ce jeu, on dirait un jeu de plate forme mais... Bon, je vais regarder les autres jeux, puis je reverais celui-là". On fait trois ou quatre boîtes avec plus ou moins le même raisonnements, puis on en revient à cette boîte-là. On n'a toujours pas décidé. Pire, comme on a regardé d'autres jeux, maintenant il y a un autre jeu qui nous tente mais dont on est pas sûr ! C'est à ce moment que Maman vient nous chercher en nous demandant si "ça y-est ? Tu as finis ?".
 
D’ailleurs, je parle de mon expérience et donc du passé, mais aujourd’hui je n’ai pas la sensation que ça ai beaucoup changé. Certes, les jeux sont moins chers et multiplateformes, mais le nombre de jeux mauvais ou justes moyens a également explosé. L’achat d’un ordinateur, si on veut avoir du bon matériel, requiert encore des recherches. En fait j’ai même l’impression que ça s’est empiré : les geeks voulant toujours comparer deux cartes graphiques, optimiser leur mémoire vive… Le nombre d’aide est devenu conséquent : la presse est variée, les sites Internet affluent… En fait, ils sont tellement nombreux, variés qu’ils n’aident paradoxalement pas beaucoup.

Source : xkcd

Quand il s’agissait d’acheter, nous en étions donc réduits à notre instinct. C’était la jungle. Ce sentiment perdure en grandissant : si évidemment notre part adulte a pris le dessus en comparant des données objectives, il reste toujours une part très prononcée du feeling à propos d’un objet qui va guider notre achat. Rarement trahi, d’ailleurs. Devenu plus adulte, le geek conserve le réflexe de comparer, jauger son feeling, et temporiser un achat s’il ne se sent pas sûr à cent pour cent. Ce qui arrive d’ailleurs rarement. Cette crainte se dévoile pour les produits multimédias, car il sait d’expérience que ce monde est empli de nuances et de technologies et de tendances à connaître pour acheter le meilleur engin possible. Mais elle se dévoile aussi pour les domaines qu’il ne maîtrise pas. Il extrapole en effet ses connaissances en matières de multimédia sur – par pur exemple – les produits électroménagers. Confrontés à des termes et des caractéristiques techniques qu’il ne connaît pas, le geek se doute que s’il achète en néophyte, il se produira la même chose qu’il a subi quand il avait 6 ans et qu’il a acheté cette daube intersidérale à 76 € : il risque fortement de se faire arnaquer. Le genre d’arnaque à sec qui fait mal et qui fait boiter. Donc, le geek va dans le magasin. Il est paumé. Il regarde tout les produits, cherche ce qui fait la différence entre ceux qui sont chers, ceux qui sont moins chers. Il note mentalement les critères affichés sur les étiquettes. Il commence un peu à jauger. Puis il va demander des avis. Puis il va comparer sur Internet. Et quand il a en mains les données techniques, c’est pire, puisqu’il va se retrouvant hésitant entre telle marque, mieux ici mais moins bien là, et telle marque, moins bien ici mais mieux là. Dilemme.

Et là va se déclencher un rouage bien connu des aficionados d’informatique (et des économes). Le geek se rendra compte que la technologie évolue vite, que les prix baissent. Et que donc, il vaut mieux être plus malin que les autres, et attendre. Il aura ainsi le même produit mais pour un prix réduit, plus tard.

Et donc, le geek n’achètera pas. Condamné à attendre, à chaque fois, car après tout, la génération prochaine sera meilleure, donc j’aurais la génération actuelle à prix réduit. C’est la raison pour laquelle j’ai mis (bien) plus d’un an à me décider à acheter la Wii. Et c’est la raison pour laquelle la décision d’acheter une nouvelle télévision m’est d’une grande angoisse.

Rédigé par Youe

Publié dans #Dixi

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