Le premier sexe
Publié le 3 Septembre 2009
Le sieur Eric commence mine de rien à être connu. Polémiste dans plusieurs émissions dont « On n’est pas couché » sur France 2, « Ca se dispute » sur iTélé et « l’Hebdo « sur France Ô, journaliste pour « Le Figaro », napoléoniste, on garde surtout en mémoire ses déboires sur la deuxième chaîne française où avec son collègue Eric Nolleau il créé très souvent des débats plus ou moins violents avec les invités.
Des positions tranchés, bien définies, et défendues par une bonne argumentation et une grande culture historique et politique, les critiques de Zemmour sont, qu’on soit ou non d’accord avec lui, toujours intéressantes à entendre. Le monsieur va à contre-courant pour presque faire dans le politiquement incorrect. Je parle là d’une provocation qu’on a un peu oubliée. Il ne s’agit pas de faire un sketch comique sur le coté avilissant des téléphones portables ou sur le racisme, des thèmes tellement peu abordés dans l’audiovisuel français. Quand on écoute Zemmour on s’attend plutôt à l’entendre parler sans sourciller de race noire devant une jeune Noire, que l’Europe est une mauvaise idée, que la gauche politique et les médias sont parfois plus d’extrême-droite que le Front National, que le rap est une sous-culture d'analphabète, et, son thème préféré, de la place grandissante de la femme dans la société. Ou plutôt, de l’abandon de l’homme.
Même si évidemment ses discours sont voués à créer débat, il faut lui reconnaître une qualité : il porte souvent à réfléchir. Ainsi une idée exposée qui nous paraîtra aberrante devient au fil de son explication plus plausible qu’elle n’en avait l’air. Bon, soyons honnêtes, un autre facteur qui rend le personnage puissant dans l’émission de Ruquier est la mauvaise qualité des invités qu’on lui oppose. Artistes sans cervelle venant faire leur promotion, faux intellectuels intolérants à la frustration, tous répondent systématiquement par l’émotionnel et en viennent vite à vouloir faire taire Zemmour en le dénigrant, en le jugeant ou en haussant la voix pour finir par l’accuser de tout et n’importe quoi. Ce qui est amusant quand on sait que la plupart de ceux-là se disent défenseurs de la liberté de parole. C’est allé si loin qu’un animateur a même lancé un site Internet où les gens signaient pour interdire Zemmour d’antenne et qu’un rappeur a menacé l’écrivain de mort dans une de ses chansons.
Déplorable, car Zemmour sait reconnaître un argument adverse même s’il n’est pas d’accord avec. Les rares invités lui répondant de façon posée et réfléchie donnent d’ailleurs au téléspectateur le droit à un débat souvent de bonne qualité, avec des échanges construits. Autant vous dire que même sans être tout le temps d’accord avec lui, j’aime beaucoup ce journaliste. Et en m’intéressant un peu à lui, je m’aperçois qu’il est aussi écrivain. Son dernier livre en date s’intitule « Le premier sexe ». Il recouvre le thème préféré d’Eric : l’homme abandonnant sa virilité au profil des discours féministes qui deviennent dominants. Un discours antiféministe ? Ca va dans mon sens. Une valorisation des idées qu’on considère comme machiste et préhistoriques ? C’est intéressant. Une attaque directe envers les femmes, plus profonde qu’une simple moquerie visant autant à attirer le public féminin que le séduire ? Ca change ! J’adhère.
C’est donc sur environs cent-vingt pages que Zemmour nous explique comment la féminisation de l’homme et la dédifférenciation entre les deux sexes est un désastre pour la construction des sociétés modernes. Ayant une grande expérience des esprits qui s’enflamment facilement, il annonce directement la couleur et, surtout, se prévient dès la première phrase du livre de l’attaque que beaucoup pourraient lui faire. Ainsi, mot pour mot, ses premières phrases sont les suivantes :
Je sais. Je sais qu’il n’y a pas l’Homme et la Femme, mais des femmes et des hommes. Pas de généralités mais uniquement des cas particuliers. […] Je sais qu’il y a du féminin en l’homme et du
masculin en la femme.
Juste pour enchaîner avec une attaque plus subtile alors qu’on ne s’y attend pas : ces phrases au-dessus sont ancrées en sous-cortical dans nos esprits par une éducation remontant aux années 70… Mais que personne n’a cherché à interroger. Le bouquin suit un chemin très construit mais qu’il est difficile de suivre dans un premier abord. On se rend compte de la structure à la fin du livre. En tout cas ce fut mon cas. Et finalement cette structure se rapproche presque de la méthode scientifique consistant à prendre un cas particulier pour trouver une théorie générale.
D’abord, Zemmour nous cite les changements qui semblent les plus insignifiants et résultant de la féminisation de l’homme. Le physique, par exemple, avec l’avènement du métro sexuel ou l’apparition d’un homme qui s’épile, se parfume, prend soin de lui, fais attention à sa ligne. Un premier chapitre regorgeant d’exemples divers qui m’a personnellement un peu rappelé un certain épisode de la série South Park.
Un deuxième chapitre se recentre sur le milieu de la mode et la façon dont celui-ci reflète absolument les tendances de la société. Les mannequins par exemples sont passés de femmes à grosse poitrine et aux fesses dodues à des anorexiques sans courbe. Une sorte de femme sans attribut féminin, une sorte d’androgyne, idéal d’une société asexué, reflet d’hommes psychologiquement stérilisés. Plus difficile à suivre mais assez révélatrice.
La troisième partie du livre, après avoir vu des exemples dispatchés et un exemple démonstrateur, cherchera à établir une théorie de fond. L’Histoire, la politique et la sociologie sont ainsi revisitées en utilisant cette dualité sexuelle. Deux parties qui m’apparaissent plus intéressantes que les autres sont par exemple l’invention de l’amour courtois, celui qu’on nous vante comme étant le summum de l’amour vrai, la base des histoires romantiques des chevaliers de la Table Ronde, et qui, en fait, sous ce masque de romantisme surévalué, n’est ni plus ni moins qu’un outil de maîtrise des femmes qui à l’époque n’avait pas beaucoup d’autres méthodes pour exercer un pouvoir. Le deuxième étant le traumatisme de la Première Guerre Mondiale, où la virilité était encore de mise, où la guerre était quelque chose de « bénéfique » (je grossis énormément le trait) et où l’hécatombe du conflit effraie les hommes qui reconsidèrent leurs valeurs viriles et préfèrent écouter les femmes et commencer à abandonner les postes guerriers et les postes de responsabilité en général.
La dernière partie, qui est la plus actuelle, est une mise en perspective de ce qui a été précédemment développé avec une conclusion ouverte, où Zemmour semble constater que ce qu’a inconsciemment créé la femme lui fait peur et, surtout, se retourne contre elle. Elle arrive à des postes où elle doit prendre des décisions culturellement réservées à l’homme. Au niveau relationnel, l’homme ressemblant de plus en plus à une femme, les « vraies » femmes ne reconnaissent plus leurs partenaires et si elles ont bien masqués ce qu’elles jugeaient être des défauts ? Elles en arrivent à les regretter. En bref, les femmes commenceraient à faire marche arrière.
Un livre intéressant, bien écrit, même s’il semble mal organisé lors d’une première lecture. Il se relit facilement plusieurs fois et si je trouve l’idée poussée à l’extrême, le thème développé l’est trop peu souvent fait en ce sens-là, et le regard de Zemmour sur des évènements ou des courants qu’on a tous connus d’une manière différente est rafraîchissant. Par contre, je concède un gros défaut au livre. Son titre. Sans être foncièrement timide et sans avoir un tabou sexuel, il faut bien reconnaître qu’il est assez spécial de s’adresser à une libraire en lui demandant si elle possède « le premier sexe ».
Lien vers un blog de « fans » d’Eric Zemmour : ici